SLAM, ChemSex et Antiviraux: Quid des interactions médicamenteuses ?

Caroline SOLAS

Hôpital de la Timone
Marseille, France

La pratique du ChemSex et du SLAM, correspondant respectivement à la consommation de drogues ou substances psychoactives dans un contexte sexuel par voie orale (Chemsex) ou par injection intraveineuse (SLAM), a émergé en 2009 avec l’apparition des nouvelles drogues de synthèse principalement de la famille des cathinones. Ces dix dernières années le panorama des drogues à usage récréatif a considérablement changé, en particulier dans le milieu festif, avec l’apparition de ces nouvelles drogues de synthèse (designer drugs) créées dans un but de contourner les lois en place (legal highs/euphorisants légaux). Elles correspondent le plus souvent à des analogues ou dérivés de médicaments ou drogues existants obtenus en modifiant à des degrés variables les structures chimiques. Ces nouvelles drogues sont apparentées à de nombreuses classes chimiques : phénéthylamines, tryptamines, pipérazines, cathinones, cannabinoïdes, regroupant des sous-classes qui incluent chacune un grand nombre de représentants. Dans la littérature, on retrouve une forte prévalence d’usage de substances psychoactives chez les HSH qui se fait le plus souvent dans un contexte sexuel1.

Les patients infectés par le VIH ou co-infectés VIH-VHC consommateurs de drogues et/ou substances psychoactives s’exposent à des risques d’interactions médicamenteuses avec leur traitement antiviral, pouvant parfois être fatales. Une interaction médicamenteuse correspond à la modification des effets d’une substance ou d’un médicament par l’administration concomitante d’une autre substance, qui aboutit généralement à un effet non désiré se traduisant soit par une toxicité, soit par une réduction de l’activité ou de l’effet recherché.

A ce jour, il n’existe aucune donnée d’étude d’interaction et de relation dose/effet ou pharmacocinétique entre drogues et antiviraux. Les interactions potentiellement toxiques peuvent être théorisées uniquement à partir de « case reports » qui ont rapportés des cas de décès sous métamphétamine ou GHB2-5. Le risque de la co-administration de drogues ou substances psychoactives et antirétroviraux/anti-VHC ne doit donc pas être sous-estimé.

Les antirétroviraux et anti-VHC sont pour la plupart très fortement métabolisés au niveau hépatique, faisant intervenir les isoenzymes du cytochrome P450 (CYP450) ou d’autres enzymes telles que les UDP-glucuronyl-transférase (UGT). De plus, certains d’entre eux ont des propriétés inhibitrices et/ou inductrices vis-à-vis de ces enzymes pouvant donc impacter la métabolisation d’une substance co-administrée, elle-même substrat de ces enzymes. Parmi les nouvelles drogues de synthèse consommées, nombreuses d’entre elles sont également métabolisées par les CYP450 et sont donc susceptibles d’être influencées par les antirétroviraux/anti-VHC (Table 1). Le risque d’interaction est principalement d’ordre pharmacocinétique. Ce risque sera majeur avec les molécules qui sont des inhibiteurs puissants ou modérés de certains CYP450 (CYP3A4 ou CYP2D6 notamment) :

  • les boosters : ritonavir, cobicistat,
  • les inhibiteur de la protéase du VIH ou de la NS3/4A du VHC (siméprevir, paritaprévir,/ritonavir, grazoprevir),

qui par augmentation de l’exposition des drogues, peuvent potentialiser leurs activités et conduire à un surdosage (overdose).

Les cathinones particulièrement consommées lors du ChemSex/SLAM sont majoritairement métabolisés par le CYP2D6, dont le ritonavir est un inhibiteur puissant et le cobicistat plus modéré. D’autres isoformes sont impliquées comme le CYP2C19, CYP1A2, CYP2B6, et CYP2C9.

tableau sur les interactions médicamenteuses VIH et HCV
Table 1 : Caractéristiques pharmacologiques de certaines drogues/susbtances psycho-actives6

Le risque peut aussi être important avec certains inhibiteurs non nucléosidiques de la reverse transcriptase (NNRTI) comme l’efavirenz, la névirapine ou l’etravirine qui inhibent également certaines isoformes enzymatiques comme le CYP2C9 impliqué dans la métabolisation du Δ-9-tétrahydrocannabinol ou THC (métabolite actif du cannabis) et d’autres cannabinoïdes de synthèse pouvant potentialiser les effets de ces derniers.

Par ailleurs, les voies de métabolisation de ces drogues ne sont pas toujours bien connues, encore moins celles des transporteurs impliqués qui peuvent aussi être inhibés par certains antiviraux. C’est par exemple le cas du GHB, pour lequel l’implication des CYP450 n’est pas claire et pour lequel des cas d’intoxications sévères ont été observés avec des boosters4. De plus, le GHB est consommé avec de l’alcool qui potentialise son activité par compétition au niveau de l’alcool déshydrogénase, enzyme métabolisant le GHB.

Il existe enfin un risque d’interaction d’ordre pharmacodynamique. Il concerne principalement la cocaïne qui est une substance allongeant l’intervalle QT. Ce risque peut donc être majoré avec toute autre molécule susceptible d’allonger le QT comme la rilpivirine, le saquinavir, l’atazanavir et le lopinavir.

Il est donc particulièrement important de faire la synthèse des drogues/susbstances psychoactives consommées par le patient avant de démarrer un traitement antirétroviral ou anti-VHC, que cette consommation soit régulière ou non. Les intéractions médicamenteuses entre drogues et antiviraux doivent être évaluées pour chaque patient lors de la réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP). Cette évaluation pourra conduire à une éventuelle modification des traitements prescrits au patient ; le sevrage restant toutefois la meilleure option thérapeutique !

Références

  • Batisse A, Peyrière H, Eiden C, et al. Use of psychostimulants in a sexual context: Analysis of cases reported to the French network of Addictovigilance Centers. 2016;71(5):447-55.
  • Hales G, Roth N, Smith D. Possible fatal interaction between protease inhibitors and methamphetamine. Antivir Ther. 2000;5(1):19.
  • Henry JA, Hill IR. Fatal interaction between ritonavir and MDMA. Lancet. 1998;352(9142):1751-2
  • Papaseit E, Vázquez A, Pérez-Mañá C, et al. Surviving life-threatening MDMA (3,4-methylenedioxymethamphetamine, ecstasy) toxicity caused by ritonavir (RTV). Intensive Care Med. 2012;38(7):1239-40